Art Machine

Art Machine est une pièce dans laquelle je questionne l'impact que peut avoir la production artistique sur notre environnement tout en cherchant à souligner l'importance de la notion de temps dans l'expression de l'artiste.

M'interrogeant ici sur ce qui anime mon propre processus créatif, l’oeuvre représente l'élaboration, la destruction puis l'exhibition de 36 cubes de couleurs et de dimensions différentes, au travers de quatre parties étroitement liées.

- La première, que l'on peut considérer comme la pièce finale, est une sculpture composée de l’ensemble des cubes utilisés, lesquels sont fixés sur un support en bois de dimension 1m x 1m. Ceux-ci sont confectionnés à partir de divers emballages récupérés (boîtes de céréales, boîtes de litière pour chat, fils de fer...) puis recouverts de peinture acrylique. Leur aspect fait ici référence aux cubes colorés que l'on retrouvent habituellement dans mon travail artistique.
Disposés arbitrairement dans un esthétisme qui rappelle les accumulations d'objets d'Arman, les cubes portent des stigmates de nature différentes (compression, trous, coups, brûlures, coupures, déchirures...) qui viennent souligner la violence de leur dégradation.

- La seconde partie d'Art Machine est une vidéo réalisée en Stop Motion d'une durée de 11 minutes 56 diffusée à l'aide d'un vidéo projecteur. Celle-ci représente un espace fixe dans lequel se trouve un tapis qui conduit progressivement les 36 cubes se faire détruire avec des objets du quotidien (couteau, chaussure, visseuse, ballon, mikado...). Bien que filmées en accéléré en noir et blanc, les images de leur destruction peuvent parfois comporter une certaine forme de violence, renforcée par la présence de yeux  sur l'une des faces des cubes qui donnent une impression de personnification. Des applaudissements ainsi que des confettis accompagnent les destructions successives de ces cubes en carton comme pour venir illustrer le caractère dérisoire, voir ridicule de cet acte créatif à la technique anodine.

Des ambiances sonores différentes (conversations, usine, vagues, fête foraine...) enregistrées par Joseph Sardin et proposées en accès libre sur son site « lasonothèque.org » (un grand merci à lui) accompagnent ces scènes de destruction, soulignant de ce fait mon entreprise créative presque obsessionnelle tandis que le temps de la vie s'écoule inexorablement.

Seules les 34 dernières secondes de la vidéo laissent les derniers cubes se faire détruire dans un silence total. Ce moment rompt avec l’environnement sonore précédent pour proposer une expérience presque contemplative d'un acte créateur pleinement déconnecté du monde extérieur et libre.

- La troisième partie d'Art Machine est un enregistrement audio d'une durée de 41 minutes 44, durant laquelle j’énumère, dans une sonorité robotisée, tous les éléments qui ont été nécessaires pour réaliser la pièce finale (matériaux et énergies utilisés) mais aussi mes réflexions personnelles, les sujets d’actualité qui m'ont marqué les jours de création ainsi que quelques titres de musique écoutés dans le cadre de mon processus créatif. Ces informations qui peuvent paraître anodins constituent, tel un journal de bord numérique, un ensemble de données qui ont de près ou de loin rendu possible mon projet Art Machine et peuvent témoigner de mon long processus créatif, fait parfois d'errements et de réajustements.
Durant les quelques mois de travail nécessaires pour élaborer et produire cette pièce, c'est avec une volonté obsessionnelle que j'ai régulièrement entrepris de recueillir ces informations comme pour tenter de mieux souligner l'importance du temps et du contexte dans le processus créatif. Les dimensions politique, économique, environnementale et personnelle de l'artiste apparaissent en effet que trop rarement à mes yeux dans la production finale d'une œuvre artistique et il me paraissait alors intéressant de rappeler que chaque individu s'inscrit un contexte unique avec lequel il interagit et qui le façonne.

- La quatrième partie d'Art Machine est quant à elle un encadrement sous-verre de dimension 78 x 78 cm dans lequel figure l'ensemble des notes qui ont nourri la construction de cette pièce. Les schémas et écrits présentés, qui se caractérisent par une certaine absence de lisibilité ainsi que par une grammaire incertaine, viennent ici mettre en lumière que l'acte créateur est un temps d'exploration profondément empreint d’énergies et de désirs tout en rappelant que celui-ci est à la portée de tout un chacun. 


Porté par ma réflexion sur ma propre créativité, Art Machine est donc une pièce aux formes multiples et complémentaires qui visent à explorer le contexte dans lequel s'inscrit le processus créatif artistique.

Les 36 cubes qui figurent dans la pièce finale, sont ainsi réduits en qualité de simple prétexte pour venir souligner le rôle essentiel du temps mais aussi du contexte dans la compréhension d'une œuvre. En partageant ici l’ensemble des éléments qui ont été nécessaires au visiteur, ce dernier est invité à entrer dans l'intimité de l'artiste durant son processus créatif pour lui permettre de saisir un peu plus sa personnalité, son quotidien mais aussi ce qui l'anime. Porteuse d'une dimension autobiographique, Art Machine met en lumière la singularité de l'individu qui crée et aborde la notion de la liberté créative tout en rappelant que la démarche artistique ne peut se dissocier des enjeux environnementaux devant lesquels l'Humanité doit aujourd’hui faire face.

Bien que tournée en dérision, la notion de violence légitime est ici mise en avant dans des scènes qui peuvent parfois mettre mal à l'aise le visiteur. Le caractère automatisé de ces cubes qui se succèdent sur un tapis dans un rythme effréné fait à la fois référence à mes origines sociales mais rappelle encore les systèmes de purification et d'extermination passés ou contemporains qui s'efforcent de s'en prendre aux populations aux seuls motifs de leurs différences, de leurs origines ou de leurs opinions, pour mieux s'efforcer d'uniformiser la société.

Art Machine est alors un modeste projet qui se permet de rappeler que l'Art, si cette notion existe, n'a pas pour seule ambition de faire du beau, du poli ou du propre comme on peut souvent se le représenter mais que celui-ci peut avoir aussi pour fonction d'informer, de déplaire, de perturber, d’embêter ou ne pas avoir d'autre raison que d'exister en dehors de la seule volonté de son créateur. Il appartient par conséquent aux artistes, comme aux visiteurs de se rappeler que l'objet artistique, avant d'être un bien de consommation, est un formidable moyen pour exprimer son ressenti, réinterroger le monde dans lequel on vit et tenter de partager nos idées.